Ma vie, votre vie est une expérience unique, création extraordinaire, c’est à dire qui sort de l’ordinaire.
L’ordinaire, c’est ce que parfois nous disons tous, répétant les uns après les autres ce que nous avons appris ou ce que nous croyons avoir appris.
Ainsi, le peintre, le sculpteur ou le musicien reproduiront et agenceront les couleurs, les formes ou les sons comme notre expérience collective nous dit qu’ils doivent l’être. Pourtant, Picasso disait que tout enfant est peintre et créateur, et que la seule difficulté était de l’être encore à quarante ans et au delà. Combien de créateurs ont dû peiner pour faire entendre ou montrer ce que leur génie et leur travail les amenait à sortir d’eux-mêmes ?
La force des croyances individuelles et collectives est malheureusement telle que toute nouveauté qu’apporte un individu peut être mise en question, repoussée, refusée. Pire encore, la personne elle-même peut être amenée à aligner sa puissance de création sur les croyances collectives, celles qui disent comment « les choses doivent être », et par là à édulcorer, limiter, voire nier ce qu’elle voulait dire. Pour qu’on accepte une chose connue de certains depuis longtemps, à savoir que la terre est sphérique, combien d’hommes ont-ils perdu la vie parce qu’ils mettaient en question les croyances de leur époque, et l’ordre établi ? Pourtant, et depuis longtemps maintenant, il nous est fort utile de savoir que la terre est ronde…
Lorsque je suis venu au monde, en 1947, je suis arrivé dans un monde déjà constitué, établi, avec un mode de fonctionnement, des règles et des lois qui m’ont parfois posé problème. Je les ai acceptés tant bien que mal jusqu’en 1973, année où j’ai connu une première poussée de sclérose en plaques : côté gauche paralysé, diplopie, grande fatigue. Les médecins que j’ai consultés alors ne m’ont pas dit le diagnostic qu’ils envisageaient. Il valait mieux, pensaient-ils, ne rien dire au patient qui put l’inquiéter et espérer que cette poussée se révèle être une fausse alerte. J’en fus quitte pour deux à trois mois d’arrêt et, lentement, tout revint à la normale, comme cela se passe généralement après la première poussée de sclérose en plaques. Six ans plus tard, une seconde poussée s’est déclarée. Cette fois-ci j’étais à l’étranger et les médecins pensaient qu’il valait mieux tout dire au malade : ils ne m’ont rien caché. Comme les premiers, c’était des personnes de valeur et de bons médecins. En l’espace de deux ans je connus alors plusieurs poussées, et j’eus la chance qu‘elles régressent à peu près toutes. Toutefois je me sentais à chaque fois moins sûr de moi et plus soumis à cette maladie qu’on dit imprévisible et que je ne sentais jamais arriver.
J’aurais pu sombrer et m’installer dans cette pathologie et me dire : « A quoi bon ? Je suis sclérosé en plaques, et je n’y peux rien ». Un peu comme un artiste créateur remise sa création pour retourner à l’académisme, ou comme les inventeurs du système solaire ont été amenés autrefois à se replier sur les vieilles conceptions du monde. Je ne sais pas ce qui provoqua mon refus, mais dès après la seconde poussée j’ai cherché mille et une solutions, qui se révélèrent toutes illusoires.
Car je voulais vivre avec la plénitude de mes moyens, ou rien. Mais sûrement pas vivre à l’économie, pour récupérer un peu de force, comme le suggéraient certaines approches de cette affection.
Et puis un jour, j’ai rencontré Philippe GIROD, artiste et psychothérapeute, formé à la « bio-énergie » par le créateur de ce mode de travail lui-même, Alexander LOWEN. J’ai alors su que je pouvais vivre autrement ‘’qu’en me tuant pour être sûr que j’étais en vie’’. Cela m’a pris du temps. Dix années d’un travail hebdomadaire, ponctué d’un week-end mensuel de travail en groupe, de stages une à deux fois l’année, émaillé de poussées parfois très sévères. J’ai compris profondément que je suis responsable de mon existence et que je décide vraiment de ce que je fais de ma vie. Bien sûr, je peux être profondément marqué par des événements qui viennent de l’extérieur et qui me font perdre ma propre voie. Ils peuvent être liés à mon histoire personnelle, à celle de ma famille et même à celle du monde. Je peux être amené à croire que c’est là LA vérité, au point de nier MA vérité.
Au bout du compte, il me semble que ce que l’humanité a mis en œuvre au cours de ses explorations, de ses découvertes, de ses expériences, elle l’a déposé en moi et me le confie au travers d’innombrables générations comme des vérités intangibles, même si celles-ci ne s’accordent pas forcément à la mienne.
Le conflit qui naissait entre moi et ce monde « clos » se révélait trop disproportionné et je n’y trouvai qu’une seule issue : me faire taire. La sclérose en plaques était un excellent moyen pour y parvenir. Mais en même temps, c’était le moyen de passer une étape de l’évolution, de mon évolution, en la supprimant. J’évitais ainsi toute confrontation avec un monde si dissemblable du mien et que je ressentais si puissant. Sans doute évitais-je aussi de me construire en m’affirmant.
C’est pour accepter ce qui est vraiment de ma responsabilité et ce qui n’en est pas que j’ai travaillé pendant dix bonnes années, en utilisant la bio-énergie aussi bien que d’autres approches thérapeutiques (Gestaltthérapie, Végétothérapie1, Clarification du Mental, etc), mais surtout la relation humaine qui s’est tissée entre moi et mon thérapeute.
Au début, je voulais simplement guérir. En fin de compte, j’ai grandi. Vers 1989, je suis venu au monde que je vois désormais autrement, et en particulier celui qu’on peut appeler ‘’ le monde de la maladie’’. Parfois, me souvenant des moments extrêmement pénibles que j’ai vécus, je me dis : « C’est trop beau pour être vrai ! Quelque chose cloche sûrement ! ». Et pourtant, non ! Je possède un dossier médical établi à Angoulême, à Berlin, à Paris qui atteste que je n’ai pas rêvé.
En tout cas, désormais, chaque année, je pars en montagne faire de la randonnée, je vis sans me priver de rien, j’ai abandonné tout régime alimentaire et tout soin ‘’parallèle’’ que j’ai pu essayer durant mon parcours. J’ai également depuis fondé une famille et j’ai deux beaux enfants, ce que j’avais longtemps exclu de mon ‘’programme’’…
Je ne souffre plus de sclérose en plaques !
1 La végétothérapie est un mode de travail qui sollicite le système neuro-végétatif de la personne, issu des travaux de W. REICH et F. NAVARRO .