Pour y voir plus clair, je reviens en arrière et je prends la place du « ça » qui advient, pour reprendre ce mot de Freud qui me semble convenir ici. Mais ici, je parle à la place du « ça », je parle à ‘‘ça’’ place et au nom de tous...
Nous, Humains, nous apparaissons dans le cône de lumière de façon individuée. Sommes-nous individués lorsqu’il n’y a que néant, avant que nous ne naissions à l’Univers ? Ou bien du néant jaillirait-il un TOUT « s’émiettant » au contact de la frontière, faisant naître des individus séparés, à charge pour eux de devenir des personnes au cours de leur vie (ou de leurs vies si j’accepte l’idée de la réincarnation) ? Ou bien sommes-nous encore autre chose ? Nous sommes là dans l’indicible.
Cela importe-t-il de le savoir ?
Lorsqu’elle apparaît, l’Humanité et chacun des individus qui la composent cherchent à s’adapter et à survivre à ce qui apparut probablement comme un milieu inconnu et peut-être hostile, (alors qu’à l’origine milieu et humanité sont unis). L’Humanité devient la conscience émergeante de ce milieu environnant, tout en s’en séparant. Chaque individu est une parcelle de cette conscience. C’est dans ce cadre et dans les premiers temps que les humains ont créé ce que nous appelons aujourd’hui l’animisme ou la magie pour comprendre leur vie. Ils se sont inventés des « béquilles » pour se faciliter leur vie, leur vie qui est une évolution vers une véritable individualité. Dans une lente progression, les hommes passent d’une vision du monde où les forces qui les gouvernent sont magiques et indépendantes d’eux, à une vision où ils ne sont pas totalement impuissants, c'est-à-dire à une vision des choses où ils peuvent quelque chose sur leurs vies, et ceci dans tous les domaines. Cela semble faire partie de leur évolution que l’inaccessible devienne accessible. Cela semble faire partie de l’évolution de l’homme que de se réapproprier ce qui vient de lui mais qu’il a d’abord mis hors de lui (et pour me permettre un jeu de mots : ce qui le met parfois hors de lui...). En fait, et je le comprends ainsi, il s’agit bien pour l’homme, tout simplement de prendre, ou reprendre possession de moyens qui lui sont... tout autant inconnus qu’incommensurables alors même qu’il les a créés puisqu’il les portait en lui.
Le passage du néant à la vie ‘’incarnée’’, c’est à dire à l’existence dans le cône de lumière, est probablement difficile pour l’être qui prend vie en créant son temps et son espace. L’Humanité, les Humains ont créé divers moyens pour « survivre à la vie », autrement dit pour survivre à la difficulté qu’il y a à passer du néant à l’univers du cône de lumière. Ils inventent des moyens pour aider à ce passage ou à ce changement, ou tout au moins le supporter.
La maladie ne serait-elle pas un moyen parmi d’autres, mais privilégié pour accéder au sens de la vie, ou pour l’inventer? Eric ANCELET, l’auteur de « Pour en finir avec Pasteur » écrit (p. 56) : « La maladie serait-elle tout simplement un processus de guérison? » et plus loin « le rôle de la médecine (est) d’aider chaque homme en souffrance à franchir les caps successifs de l’évolution individuelle et de l’évolution collective ».
Il soulève là, me semble-t-il, une des plus grandes difficultés, à mon sens : si l’incarnation est individuelle, l’évolution individuelle ne se fait que collectivement. Concrètement, cela peut signifier que ce qui atteint un individu ne lui appartient pas, que ce qui peut sembler sa découverte personnelle est automatiquement su et connu des autres individus de son espèce sans qu’il ait forcément besoin de le transmettre. Sûrement, une transmission formelle aidera à la diffusion d’une découverte. Mais ce que je veux dire, c’est que du moment qu’une découverte a lieu, elle appartient à tous les membres de l’espèce et est susceptible d’être re-découverte ailleurs, par d’autres, même s’il n’y a pas de transmission formelle.
Deux faits m’ont amené à penser cela. L’un d’eux me vient d’un cours d’éthologie que j’ai suivi autrefois à Paris 7 Jussieu où l’assistante nous avait rapporté les faits suivants : « Après la seconde guerre mondiale, on a été amené à nourrir des singes sur une île isolée du Pacifique qui n’avaient plus de nourriture suite aux faits de guerre. Pour cela, on leur a jeté, par avion, des pommes de terre. Dans un premier temps, on a remarqué que ces tubercules n’avaient pas beaucoup de succès. Tombés en bordure de mer, sur le sable des plages, ils semblaient désagréables à croquer. Puis un jour, un singe a trempé une patate dans la mer, faisant ainsi tomber le sable dans l’eau. En avait-il eu « l’intention »? L’a-t-il fait « par hasard »? Peu importe, mais ce qui est important, c’est qu’aussitôt l’ensemble de la communauté des singes de cette île a adopté ce comportement, et les tubercules ont alors été mangés. Ce qui est plus étrange encore, c’est que d’autres singes, vivant la même situation de famine, dans des îles voisines mais suffisamment éloignées pour qu’ils ne puissent avoir de contact avec les premiers, adoptèrent d’emblée ce même comportement lorsqu’on leur largua des pommes de terre. Comme si tous les membres de l’espèce avaient su ce que l’un d’entre eux venait de découvrir ailleurs ». Bien sûr, je n’ai que le souvenir de ce cours, je regrette de ne pas en avoir noté précisément les références exactes de ces faits à l’époque.
L’autre élément auquel je me réfère, c’est l’histoire de l’acacia et du koudou, rapportée par Jean-Marie PELT dans « Les langages secrets de la nature » (p. 106). On a constaté, et mesuré, que lorsque le koudou, sorte d’antilope qu’élèvent les fermiers du Transval, attaque l’acacia puisqu’il s’en nourrit, celui-ci se met à produire et à diffuser dans sa sève un tanin qui est un poison pour le koudou. Il ne le produisait pas avant l’attaque. Mais ce qui est plus surprenant, c’est que les acacias des environs (distants de quelques mètres, il est vrai), même s’ils n’ont pas encore été attaqués par un koudou, se mettent alors à produire ce tanin mortel aux koudous. Les autres acacias ont été avertis du danger que l’un des leurs a essuyé. Une communication s’est produite de l’un aux autres.
N’a-t-on pas, chez l’homme, observé des phénomènes semblables et troublants : dans le domaine scientifique, une découverte réalisée en un point de la terre l’est aussi en d’autres ; de la même façon une invention dans le domaine artistique se voit reprise loin de son point d’origine, alors qu’il ne semble pas exister de lien entre ces lieux, du moins à ce sujet.
Rien ne m’autorise à l’inférer, mais je crois que ce que découvre un humain devient connaissance et la propriété de chacun des autres humains. Il existe sans doute une sorte de conscience quasi instantanée et universelle, de l’espèce.